Nous en profitons pour descendre dans le sud que nous n’avons pas encore visité cette année. Nous y allons toujours une fois ou deux à chacun de nos séjours. Après Sanur, je m’engage sur l’autoroute construite au-dessus de la mer et qui fait gagner temps et kilomètres. Au péage, un policier m’arrête et demande à voir mes papiers. Je lui présente la carte grise de la moto et mon permis international. À son petit sourire, je comprends que je ne suis pas tiré d’affaire. Je le sais parce que, au moment du paiement, je me suis retrouvé dans la file des autos et non dans celle des cycles. Évidemment, d’après le gendarme, j’ai commis là une très grave erreur! Malgré ma tentative ratée de les lui arracher, il garde mes papiers envers lui et me demande de le suivre dans un bureau, tout près. Il sort alors son téléphone et me montre les photos des panneaux situés à deux cents mètres avant le péage. D’abord, je ne vois que les énormes pancartes de direction perchées en haut d’un portique, celles-là mêmes que j’ai suivies. D’autres écriteaux que je ne comprends pas, accrochés sous les premiers, sont en indonésien. Puis, il agrandit au maximum son cliché et me désigne deux panonceaux ronds et microscopiques, à un mètre du sol, l’un avec une petite moto et une petite flèche, l’autre avec une petite moto et une petite croix dessus! Bien entendu, d’après mon interlocuteur, ce sont ces deux panneaux que j’aurai dû voir en premier. Devant sa mauvaise foi aveuglante, je perds patience et lui demande de combien il veut me plumer. Il m’assure qu’il ne souhaite pas d’argent, ce que je ne crois pas un seul instant. Mais, il a fait une grosse erreur: pour me donner la leçon de code sur son mobile, il a dû poser mes papiers sur la table. Ni une, ni deux, je les saisis alors qu’il s’apprêtait à les reprendre. Je les enfouis dans une de mes poches et sors précipitamment du bureau. Je retrouve Chantal restée près de la moto. Elle comprend tout de suite la situation et s’installe sur le siège, tandis que je mets le moteur en route. Le policier, arrivé à mes trousses, se poste alors devant ma roue et tient mon guidon de ses deux mains. Il me redemande mes papiers, ce que je refuse catégoriquement. Deux jeunes touristes qui ont fait la même erreur que moi, stoppés eux aussi par un fonctionnaire, garent leurs motos près de la nôtre et assistent à la fin du sketch. Pour en terminer au plus vite, je plante mes yeux dans ceux de mon gardien et lui demande poliment, mais fermement, de nous laisser partir. Deux de ses collègues présents le regardent, visiblement chagrinés de constater que je n’ai pas cédé à son chantage d’extorsion. Certainement vexé, il s’écarte tout de même. Avant de lâcher les gaz, trop heureux de nous être extirpés de ce guêpier, nous avons juste le temps de crier aux jeunes touristes arrêtés près de nous de, surtout, refuser de payer. Mais j’ai peur que les flics se vengent sur eux pour se faire de l’argent de poche à bon compte… Dire que les motards balinais, pourtant assez bons conducteurs en général, roulent à contresens, en sens interdit, ne respectent pas les feux rouges, franchissent les lignes continues, débouchent devant vous sans regarder, sont les rois des queues de poisson, oublient de prévenir quand ils changent de direction, ralentissent brusquement pour répondre à un texto, conduisent sans casque… La liste serait interminable si je relatais toutes leurs infractions. Mais à eux, on ne dit rien. C’est vrai que mon erreur parait beaucoup, beaucoup plus grave…
Une dizaine de kilomètres plus loin, nous arrêtons la moto près du pont qui surplombe la croquignolette plage de Padang Padang. Nous sommes surpris de ne plus trouver l’escalier qui nous y menait. Et pour cause! L’entrée qui s’effectue désormais de l’autre côté du viaduc est, tout simplement, devenue payante. Pour se mouiller les pieds dans la mer, il va bientôt falloir payer partout à Bali… Comme je ne veux pas m’y soumettre, nous poursuivons la promenade vers le paradis des surfeurs situé tout près d’Uluwatu, le point le plus au sud de l’ile. Là encore, je dois régler le parking pour avoir le droit d’admirer les intrépides qui glissent sur l’une des plus belles vagues de toute l’Asie, dixit les aficionados. Durant l’heure que nous passons là à siroter un cola sur une terrasse accrochée à la falaise, nous les regardons se disputer les meilleurs rouleaux et applaudissons à leurs exploits. Ce spot ne jouit pas d’une réputation planétaire pour rien. J’ai lu que mieux vaut se vautrer au bon moment, car les coraux, à fleur d’eau à certains endroits, peuvent être dangereux lors de l’étale de basse mer. Une épée de Damocles au-dessus de leur tête, cela n’empêche pas une centaine de mordus, disséminés sur une longueur de deux ou trois hectomètres, de s’adonner à leur sport favori. Le soleil est à son zénith lorsque nous quittons ce joli coin pour continuer tranquillement la promenade dans la presqu’ile de Bukit. Nous en profitons pour nous arrêter à Nusa Dua, lieu que nous avons boudé durant des années, mais auquel nous rendons désormais une visite de temps en temps. Ghetto à touristes fortunés, le site a été créé de toutes pièces. Les premiers investissements ont débuté en 1973, avec l’aide la Banque mondiale. Aujourd’hui, les hôtels de luxe y règnent en maitre. Le Balinais lambda est considéré ici comme persona non grata. Très peu de locaux y ont accès, excepté ceux qui travaillent dans les palaces. Nous étendons nos serviettes sur le sable et partons aussitôt nous baigner. Nous jouons avec une pelote qui rebondit sur la surface de l’eau, lorsque Chantal, horrifiée, sent qu’elle vient de perdre, en lançant la balle, la grosse bague que je lui avais offerte, il y a quelques années à Penang, en Malaisie. Je n’ai rien vu d’anormal au moment du jet. Aussi la cherchons-nous à ses pieds, en foulant le sable et les algues. Nous attendons même que la mer qui se retire découvre l’endroit où elle a théoriquement dû tomber. En vain. Nous ne la retrouverons pas. Après la colère froide de ce matin avec les policiers, la contrariété doit de nouveau se lire sur mon visage, car j’aimais beaucoup ce bijou argenté serti d’une grosse pierre noire. Pour me rasséréner de cette journée éprouvante pour les nerfs, de retour à la guesthouse après 145 kilomètres, nous prenons notre temps pour savourer une très bonne Bali Haisur la terrasse, à la lumière des chandelles et au son d’un haut-parleur WiFi que Ketut vient tout juste de nous offrir.
Dans la chambre d’à côté, Marcella, une Tchèque un peu bizarre en vacances à Bali, a, semble-t-il, contracté la dengue. Malgré ses 35 ans, elle n’arrête pas de geindre et de pleurnicher comme un bébé. Ketut s’en occupe comme si elle était sa fille et, embarrassée, demande à un médecin de venir l’ausculter. Portant lunettes d’écaille et costume clair, celui-ci pose d’office une perfusion de paracétamol, sans tenir compte des réticences de la grande malade. Un jeune infirmier, arrivé en sa compagnie et semblant motivé, reste la surveiller deux jours durant. En fait, il joue pendant deux longues journées avec son portable sur la terrasse.
Sitôt les pancakes à la banane, l’assiette de fruit et le thé avalés, nous reprenons la moto pour monter vers le mont Batur en traversant de nombreuses plantations d’orangers et de caféiers. Plus on s’élève et plus la température fraichit. J’enfile un pull par-dessus mon ticheurte. Chantal en fait de même. Une fois là-haut, le paysage magnifique nous enthousiasme une nouvelle fois. Je crois que nous ne nous lasserons jamais de cette vue dominant le lac, le volcan et les montagnes environnantes. Une grande cérémonie devant avoir lieu, les policiers nous dévient vers Kintamani. Qu’à cela ne tienne, nous continuons bien au-delà en redescendant vers le nord sur l’autre versant. Nous ne faisons demi-tour qu’une fois arrivés devant Singaraja. Nous n’avions encore jamais emprunté cette portion de route. À de nombreuses occasions, le tracé sinueux à flanc de montagne laisse apparaitre des panoramas splendides sur la côte nord et l’intérieur. Nous en prenons plein les mirettes, au moins durant la descente, parce que, lors de la remontée vers Kintamani, le col se trouve dans les nuages et le brouillard empêche de voir bien loin. Nous rentrons sur Ubud en empruntant de jolies petites routes de campagne qui nous font passer par Bangli et Tampaksiring. Les 155 kilomètres ont à peine irrité nos fesses désormais bien rodées…
Aujourd’hui, Arno et Guylène, de Dinan, nous rejoignent pour 3 jours. L’an dernier, nous les avions croisés à Krabi, en Thaïlande. Cette année, ils ont choisi Bali. Après nous être retrouvés à leur hôtel où Arno s’ébat dans la belle piscine, nous les emmenons gouter le célèbre cochon grillé de chez Ibu Oka, le babi guling. Avec un certain soulagement, nous les regardons se délecter de leur assiette, pourtant épicée pour les palais français. Nous poursuivons la découverte du village par une promenade dans les rizières, juste à côté, où Arno ne sait plus où donner du déclencheur. Il est pire que moi, c’est dire! Mais, je les ai prises tant de fois qu’aujourd’hui je me repose un peu. Ils apprécient aussi les ateliers de peinture traditionnelle disséminés le long du parcours où les artistes leur expliquent eux-mêmes la technique qu’ils utilisent. Ils peuvent ainsi mettre une année pour finaliser une grande toile tant celle-ci reste complexe avec ses innombrables scènes et personnages. Comme nous, nos amis dinannais ont une légère préférence pour celles en noir et blanc. Nous terminons la promenade autour d’un verre qu’ils nous offrent, face aux rizières. Que rêver de mieux? En retour, je leur paie un arak au restaurant en guise de cadeau pour mon anniversaire imminent auquel ils ne pourront pas être présents.
Après le petit-déjeuner du lendemain matin, nous partons en moto pour Tegallalang. À cette heure de la journée, la foule ne s’y presse pas encore. Nous prenons donc notre temps pour apprécier ce bel endroit, mais qui se délite un peu plus chaque année. Désormais, de nouveaux cafés et des emplacements inutiles, aménagés pour les photographes non photographes, enlaidissent le bas des rizières. À ce rythme, il n’y en aura bientôt plus, et plus personne ne viendra. Mais comme pour d’autres choses, ils n’ont toujours pas compris! On visite un peu plus loin la maison, transformée en musée, du sculpteur de Garuda le plus célèbre de Bali où les œuvres monumentales impressionnent nos amis. Nous filons ensuite vers le temple de Gunung Kawi Sebatu, serti dans un écrin de verdure, puis celui de Gunung Kawi Tampaksiring, niché au fond d’une vallée encaissée. Certains le surnomment «le temple d’Indiana Jones» à cause des nombreuses tombes creusées dans la falaise. Arno, resté un grand enfant, ne peut résister à l’appel de l’eau. Il quitte rapidement ses vêtements et fonce dans le torrent rafraichissant qui coule à cet endroit. N’y tenant plus, moi non plus, je l’imite quelques secondes après. Tandis que les gamins s’amusent, les filles papotent sagement à l’ombre des hauts arbres. Le bain ayant creusé nos estomacs, nous allons manger dans un restaurant local à la sortie du village. Le nasi campurravit nos papilles et nous repartons, une petite heure plus tard, repus. Lorsque nous arrêtons dans une rizière pour observer les paysans moissonner leur parcelle, je m’aperçois que j’ai oublié mon sac photo dans la gargote. Tandis qu’Arno, Guylène et Chantal restent, je retourne seul le rechercher. La jeune patronne avait heureusement remarqué mon oubli et avait consciencieusement rangé le fourre-tout auprès d’elle. Je l’en remercie vivement et m’en vais aussitôt retrouver les autres.
Nous nous réveillons à 4 h 15 ce matin pour partir à 5 heures vers Bedugul et le temple Pura Ulun Danu Bratan que je tiens à leur faire découvrir au lever du soleil. Les premières lueurs de l’aube apparaissent enfin; rouler dans la nuit à Bali peut se révéler parfois dangereux entre les animaux, les hommes qui font leur toilette matinale dans le fossé, ceux qui effectuent un jogging, les deux-roues non éclairés, les trous dans la chaussée. Bref, nous sommes heureux lorsque nous voyons les deux volcans, le Gunung Batur et le Gunung Agung, se découper dans la rougeur de l’horizon. Nous nous arrêtons sur le bord de la route immortaliser ce moment. Quelques instants plus tard, l’astre se lève et nous remontons sur nos bécanes pour atteindre le fameux temple à 6 heures. Malgré l’heure matinale, le guichet d’entrée est déjà ouvert et nous devons tous acheter nos billets. Bien évidemment, nous sommes les seuls à parcourir de long en large le site. Nous en profitons bien. Malheureusement, un vilain nuage cache le soleil et amène assez de vent pour rider la surface de l’eau. Dommage! Mais Arno et Guylène qui y viennent pour la première fois ne regrettent en aucun cas de s’être levés si tôt. Un peu avant de partir, nous croisons un autre couple, bien plus jeune que nous, qui, lui aussi, mitraille à tout-va. La jolie lumière dorée n’arrivera jamais, mais nous quittons malgré tout ce superbe temple enchantés tous les quatre. Il est temps d’aller se restaurer. Apparemment, les marchands de soupe en bordure du lac ne les attirent pas. Aussi continuons-nous vers Bedugul et un restaurant qui vient d’ouvrir. Le petit-déjeuner que nous y prenons se révèle très quelconque et cher. Il ne me reverra pas.
Nous partons ensuite en direction des rizières de Jatiluwihque nous atteignons vers midi et nous passons par une petite route de notre connaissance pour éviter de devoir payer l’entrée sur le site. Nous parcourons à moto, mais en nous arrêtant très souvent, deux des chemins principaux qui serpentent au milieu des fastueuses terrasses. Celles-ci sont-elles les plus jolies? C’est ce qui est dit, mais Chantal et moi préférons encore plus celles de Belimbing, assez éloignées d’Ubud et, par conséquent, moins fréquentées par les touristes. Le plaisir de nous imprégner de ces merveilleux paysages d’ici reste, malgré tout, toujours aussi intense. En redescendant vers Ubud par le chemin des écoliers, nous essuyons une première averse d’une quinzaine de minutes, puis une seconde d’une dizaine de minutes. Arno en profite pour prendre une douche sous la pluie, tandis que Chantal nettoie ses genoux légèrement écorchés. En stoppant la moto, la roue avant a en effet ripé, quasiment à l’arrêt, sur de la mousse mouillée et nous a envoyé tous les deux par terre; heureusement sans gravité. Pour gagner du temps et beaucoup de kilomètres, nous empruntons ensuite une petite route complètement défoncée et rendue difficile par l’averse de tout à l’heure. Pour ne prendre aucun risque, les filles préfèrent descendre de machine et passer les deux grosses difficultés à pied. 16 heures sonnent lorsque nous pénétrons dans Ubud.
Pour la dernière fois ce soir, nous mangeons ensemble. D’après leurs dires, Arno et Guylène ont beaucoup apprécié leurs trois premiers jours de découverte de Bali. Demain, ils partent pour Amed, fileront ensuite sur les iles Gili à Lombok et termineront tranquillement leurs vacances à Seminiak. Nous avons été très heureux de les revoir cette année et de les initier, un peu, à la vie balinaise. Bonne route à eux!
Après une journée de repos bien méritée, nous retrouvons le surlendemain la Happy Family qui revient, toute contente, de son tour de l’ile. Pour fêter cela, nous allons manger tous ensemble dans un restaurant que nous avons découvert cette année.
Deux jours plus tard, Chantal et moi nous rendons à la plage à Padangbai. Cette fois encore, la marée apporte son lot de cochonneries et m’empêche de me baigner comme je le souhaiterais. Agacés, nous partons en début d’après-midi pour Ubud, en passant par les montagnes. Pas de chance, peu après la montée impressionnante vers Putung, nous devons nous abriter dans un garage le temps d’une vilaine averse venue perturber la balade. Encapuchonnés, nous reprenons la route une demi-heure plus tard. Quelques minutes après, l’ondée cesse brusquement et, aussi incroyable que cela puisse paraitre, la chaussée est complètement sèche une dizaine de mètres plus loin. Nous rangeons nos vêtements de pluie dans le coffre de la moto et poursuivons tranquillement la promenade pour regagner nos pénates.
Avec Guylaine, Fred, Thaïs et Gaby, nous prenons à pied le chemin des rizières. Ils sont surpris de constater qu’il en reste encore si près de la rue principale. Nous leur faisons découvrir les plants de vanille qui poussent le long du sentier et leur présentons Wayan et Wayan, deux peintres balinais qui nous connaissent bien. Pour nous remettre de ces quelques kilomètres de marche, nous allons ensemble déguster de bonnes pizzas cuites au feu de bois.
Le lendemain, nous partons tous pour le marché de Sukawati que la Happy Family n’a jamais visité. Devenu touristique, il garde encore un certain cachet. De nombreux commerçants français et autres viennent y acheter un grand nombre d’objets qui finiront dans la vitrine de leurs boutiques. La halle des articles en bois me semble la plus intéressante. Babioles de toutes sortes, sculptures traditionnelles ou pas, tout le monde peut y trouver son bonheur. Gaby, huit ans, négocie habilement un petit dauphin auprès d’une dame sous le charme. Elle repart quelques instants plus tard avec son trophée, arraché pour quelques centaines de roupiahs(une dizaine de centimes d’euros) qu’elle avait patiemment économisées. Après les articles, nous partons faire un tour dans le marché couvert de l’alimentation où de vieilles femmes somnolentes proposent des denrées qu’on connait à peine. Ce lieu, oublié des touristes, reste vrai et les gens y sont adorables avec nous. Fred, Thaïs et Gaby déjeunent d’une assiette de nouilles, tandis que nous négocions ferme des bracelets multicolores en bois en compagnie de Guylène. Tout le monde trouve son bonheur. Nous continuons la promenade vers la belle cascade Air Terjun Tegungan. Lorsque nous garons les motos sur le parking après avoir payé un droit d’entrée, nous ne reconnaissons plus rien. Un village s’est monté ici en une année… Magasins de souvenirs, cafés, restaurants y ont poussé comme des champignons. Et d’autres sont en construction. Pour admirer la chute depuis le haut comme auparavant quand il n’y avait rien, ou si peu, il faut désormais traverser un bar et se planter sur sa terrasse privée. Incroyable! J’exagère un peu: il reste encore un endroit public, coincé près de l’escalier qui descend à la rivière. Le point de vue, mal aménagé, est certainement appelé à disparaitre lui aussi, des ouvriers étant en train de monter un échafaudage en contrebas. Bref! Comment saboter un lieu anciennement magique? Demandez aux Balinais, ils savent très bien s’y prendre: Tegallalang, Tanah Lot, Jimbaran, Ubud, Kuta, ici, et j’en passe… La liste ne s’arrête plus… Quel dommage! La Happy Family qui ne la connaissait pas avant passe sur ces détails et descend le long escalier qui débouche sur le torrent. Fred et ses filles ne résistent pas longtemps à l’appel de l’eau et vont se jeter sous la cascade. Chantal, bien évidemment, Guylène et moi restons les attendre au sec. Est-ce à ce moment que Thaïs a pris froid? Lorsqu’elle remonte sur la moto avec ses vêtements trempés, elle n’y prête aucune attention.
Tout le monde se prépare pour partir au Tanah Lot à 5 heures le lendemain matin. Dans la nuit, nous traversons des villages où l’agitation règne déjà autour des étals des marchés. Le trajet se déroule sans souci et, après un café avalé dans un 7-Eleven près de l’arrivée, nous garons nos machines sur le parking au moment où les premières lueurs apparaissent. Cette fois encore, nous sommes les seuls à parcourir le site. La Happy Family entière apprécie à sa juste valeur ce lieu étonnant où les rouleaux viennent sans cesse battre le rocher sur lequel repose le temple. Les filles s’amusent en regardant les crabes et en ramassant des coquillages, tandis que les adultes s’éparpillent dans toutes les directions, recherchant avec une certaine application le bon angle pour la super photo. Comme l’autre jour, des surfeurs commencent déjà leur journée de glisse qu’ils poursuivront un peu plus loin, vers Canggu, plage réputée pour ses belles vagues. Après deux heures passées autour du rocher, nous rentrons sagement vers Ubud. À 9 h 15, Ketut nous sert les petits-déjeuners sur la terrasse.
En début d’après-midi, je propose de retourner à la piscine, celle noyée dans la verdure. Tout le monde approuve, sauf Chantal. Étonnant, non? Elle va rester nous attendre ici. Lorsque nous en revenons en fin de journée, la température a un peu fraichi; assez pour qu’on puisse prendre froid en moto. Thaïs ne l’imagine pas un instant. Mais le lendemain, la fièvre est apparue et elle devra garder le lit durant les trois jours suivants. On songe aussi à la dengue qui sévit en ce moment. Mais, même si elle mange un peu moins que d’habitude, la jeune fille a encore de l’appétit; ce qui nous fait penser plus à un refroidissement qu’à une piqûre de moustique.
Fred et Guylaine préférant rester auprès de Thaïs, nous en profitons pour faire de petites balades en moto dans la région. Nous reprenons des routes que nous empruntions il y a quelques années et que nous avons délaissées au profit de nouvelles, plus rapides. Nous tombons par hasard sur une fabrique artisanale de cerfs-volants. Des femmes de tout âge s’affairent à assembler savamment de fines tiges de bambou taillées de différentes longueurs, puis à coudre sur l’armature ainsi obtenue du tissu coloré et découpé à la bonne taille par d’autres ouvrières. Le patron, averti de notre présence, vient se présenter à nous dans un français impeccable et sans accent. Nous sommes abasourdis d’apprendre qu’il n’a jamais mis les pieds dans un pays francophone, mais qu’il a suivi, deux années durant, des cours à l’Alliance Française de Denpasar. Le résultat nous laisse tous les deux pantois. En passant à côté d’un restaurant local que nous connaissons, alors que, théoriquement, nous ne mangeons pas le midi, nous ne résistons pas à l’appel d’un bon babi guling. Nous nous régalons des deux assiettes bien garnies et des bols de bouillon épicé que la jeune serveuse souriante pose devant nous.
Une autre fois, je pars seul avec mon appareil à la chasse à la photo. En route, je tombe sur une galerie, perdue du côté de Payangan. L’artiste me voyant prendre des clichés de ses œuvres les plus déjantées vient parler un peu avec moi. Il m’apprend qu’il jouit d’une certaine réputation à l’étranger. Au bout de quelques minutes, l’ancien professeur qui a eu le courage d’abandonner sa carrière sûre de fonctionnaire pour se consacrer à sa passion pour l’art attire deux verres et ouvre une grande bouteille de Bintang bien fraiche. Je n’ai pas le droit de refuser et, n’ayant pas l’habitude de boire de bière le matin, la tête me tourne un peu lorsque je reprends le guidon. La chasse n’aura pas été très bonne, mais j’aurai passé un sacré moment avec cet artiste un peu spécial. En ce samedi, je dois emmener la Happy Family à Pakudui, chez le maitre sculpteur I Made Ada, connu dans le monde entier à travers ses Garudamonumentaux. La semaine dernière, celui-ci nous a confirmé la tenue d’un spectacle de danse traditionnelle. Manque de chance, lorsque nous y arrivons, celui-ci nous apprend qu’exceptionnellement la représentation n’aura pas lieu aujourd’hui. Il doit préparer sa prochaine exposition. Momentanément déçus, Fred et Guylaine tombent sous le charme des œuvres exposées dans la maison transformée en musée. Le gigantisme et la complexité des pièces donnent encore plus de valeur à la finesse du ciselage à laquelle personne ne peut rester insensible. Même si cet art bien spécifique ne plait pas nécessairement à tout le monde, force est de constater que la dextérité de ceux qui ont taillé dans le tronc relève de l’exceptionnel. Nous sommes heureux d’avoir fait découvrir cette tradition à nos amis.
La balade du dimanche est consacrée à Sanur, celle du lundi à Pengambengan, près de Negara, que nous ne connaissons pas. Il nous faut pratiquement trois heures pour effectuer les 108 kilomètres qui séparent Ubud de cet important port de pêche du littoral ouest. Mais l’effort en valait la chandelle. D’abord, le décor mérite une étoile avec cette mer d’un bleu éclatant, les côtes javanaises qu’on aperçoit au loin et les montagnes environnantes. Amarrés au milieu du bassin, le plus souvent par paire, les magnifiques bateaux portent sur leur mât une coupole argentée symbolisant une mosquée et l’appartenance des pêcheurs à l’islam, ici, omniprésent. Ornés d’une très imposante proue colorée, ces Bugis, typiques de la mer de Java, se préparent à partir sur leur lieu de pêche. Des camions transportant de la glace déchargent leurs énormes blocs sur de frêles embarcations qui filent ensuite approvisionner les navires qui s’apprêtent à appareiller. Les marins, apparemment peu habitués à voir des touristes s’intéresser à leur métier, nous accueillent partout avec une gentillesse inouïe. Beaucoup nous font de grands signes depuis leur poste. Si beaucoup vont partir, certains arrivent encore et viennent débarquer le produit de leur nuit de travail. Pour cela, des hommes et des femmes se relaient, de l’eau jusqu’aux épaules, pour sortir les paniers de poissons des cales des bateaux et les amener laborieusement vers le quai où ils sont vendus illico au plus offrant. Spectacle universel d’un port de pêche dont nous ne parvenons pas à nous fatiguer. Nous ne sommes pas Bretons pour rien! Trois heures après notre arrivée, nous reprenons la route vers Ubud. À la sortie de la zone portuaire, un camion ralentit devant un groupe d’enfants, apparemment nécessiteux, pour qu’ils puissent faire tomber quelques sardines de la benne pleine à ras bord. Une fois le butin récupéré, personne ne s’attarde: ni le chauffeur, ni les gamins qui s’éparpillent rapidement. Nous ne regrettons surtout pas les 220 kilomètres d’aujourd’hui, car cette journée restera certainement en bonne place dans nos souvenirs.
Ce matin, je me lève heureux et fringant. J’entame une nouvelle décennie. J’ai 60 ans! Ketut nous sert le petit-déjeuner en chantant Happy Birthday, j’ai même droit à un pancake supplémentaire! La Happy Family avec qui nous devons partir tout à l’heure me le souhaite aussi. Mais avant tout ce petit monde, c’est Chantal qui avait amorcé la série. Bref! La journée s’annonce bien, surtout que nous devons aller faire un snorkeling tous ensemble à Tulamben, sur la fameuse épave de l’USS Liberty. Sitôt les assiettes terminées, nous enfourchons nos motos et prenons la direction plein nord. Nous suivons la route de la côte est et en profitons pour nous arrêter dans une fabrique artisanale saline à la hauteur de Kusamba. Thaïs et Gaby y apprennent comment on arrive à avoir du sel en mouillant d’abord le sable avec l’eau de mer, en le récoltant ensuite une fois sec, puis en le filtrant dans un bac et, enfin, en faisant évaporer le liquide recueilli dans des troncs creusés de cocotier. Ce cultivateur en obtient environ 30 kilos par jour! Après l’achat d’un paquet, nous poursuivons la balade en effectuant un nouvel arrêt à Candi Dasa pour leur montrer les bungalows traditionnels en bois et chaume où nous dormions lors de nos premiers séjours à Bali. Celui dans lequel nous étions la première fois est en pleine réfection. Il ne reste plus que l’armature en teck. Mais dans quelques jours, il sera de nouveau loué. Dans la montée suivante, un poids lourd nous dépasse avant les premiers virages, certainement de peur de devoir nous coltiner durant un bon moment. Les tournants se succèdent. À la sortie de l’un d’eux, assez serré, je ne peux éviter la très longue trace d’huile que ce fameux camion, manifestement pris par son élan, a perdue sur la partie extérieure de la chaussée, celle que je suis en train de suivre. Bing! Nous voilà par terre! Et je vous jure que ça ne fait pas de bien. Guylaine et Fred qui étaient derrière nous ont pu la contourner et s’arrêtent en catastrophe à notre hauteur, un peu paniqués en nous voyant tarder à nous relever. Mais plus de peur que de mal! Bon, on a tous les deux les genoux en sang, les coudes amochés. Par contre, les casques ont été super efficaces. Heureusement pour nous, ils sont plus solides que dans les autres pays asiatiques où nous avons l’habitude de louer nos motos. Quant à la machine, elle n’a rien, ayant glissé un long moment sur l’huile. Chantal doit néanmoins s’allonger un peu pour récupérer, et j’ai un peu mal au poignet gauche, alors que je crois être tombé du côté droit. Un quart d’heure plus tard, nous remontons sur la bécane et poursuivons la route vers Tulamben en nous étant tout de même arrêtés acheter un cola dans un café. Il nous a fait grand bien. Une fois arrivé sur le site du snorkeling, je me demande si je dois plonger avec mes genoux et mes bras abimés. Mais la tentation est grande, et je me résous à y aller. Ça pique un peu au début, mais après quelques minutes, je ne sens pratiquement plus rien. Par contre, je souhaitais prendre ma caméra Sony pour filmer le bateau, mais je renonce vite. J’ai peur qu’elle me gêne dans mes mouvements, un peu crispés tout de même. Heureusement, Guylaine a la sienne et pourra rapporter des images de ce superbe snorkeling. Moi qui n’avais jamais admiré d’épaves, hormis un malheureux petit voilier en plastique au large de la Martinique, suis aujourd’hui comblé. Je n’aurais voulu louper ça pour rien au monde. Au bout d’une heure, nous regagnons tous la rive, émerveillés d’avoir pu voir autant de poissons et une tortue qui évoluait parmi les nombreux plongeurs disséminés tout autour du bateau. Le retour qui nous faisait un peu peur se passe en fait très bien, même si j’ai perdu mes compagnons de route deux fois sur le trajet avant de les retrouver un peu avant Ubud. Pour fêter cette journée mémorable, la Happy Family nous offre une bonne Bali Hai, pour nous changer un peu de la Bintang. Thaïs et Gaby me font cadeau de deux bracelets pour remplacer celui que j’ai cassé dans la chute de ce matin. Pour ma part, je paie une tournée d’arak au restaurant. Je m’en souviendrai longtemps de mes 60 ans!…
Nous restons à Ubud les deux jours suivants pour soigner nos bobos. Ma main gauche a bien enflé ce qui fait rire Chantal qui la compare aux mains bien grassouillettes d’Octave, notre petit-fils. Chantal, elle, a aussi le poignet un peu enflé, mais qui arbore, en plus, de belles couleurs jaune-vert!
La Happy Family nous quitte à ce moment-là. Le mois qu’ils viennent de passer à Bali les a enchantés, surtout après leur séjour en Inde, assez éprouvant d’après leurs dires. Ils filent sur Kuala Lumpur deux jours pour pouvoir entrer un nouveau mois sur le sol indonésien, mais à Sulawesi cette fois. Nous leur souhaitons une bonne poursuite de voyage à Sulawesi et au Népal avant leur retour en France à la mi-juillet. Ils vont nous manquer, c’est certain. Cela va même nous faire bizarre de nous retrouver tous les deux, car nous avons reçu la visite de plusieurs de nos amis durant ce séjour: France, Sabine, Andrée, Jeannie, Alain, James et Tiné, puis Guylène et Arno et enfin Guylaine, Fred, Thaïs et Gaby.
Les deux mois se terminent déjà alors qu’on a l’impression qu’ils viennent de commencer. Ketut tient à nous offrir un babi gulingpour notre dernier jour avec elle et aussi pour mon anniversaire. Il est succulent. Pas comme le bebek betulu(canard dont la préparation dure 24 heures) d’hier qu’on avait pourtant réservé dans un grand restaurant que notre amie Shahine nous avait fait découvrir lors de sa venue à Ubud, mais que les cuisiniers ont oublié de mettre de côté. De rage, nous sommes allés manger un énième excellent tuna bakaret tuna base kalasdans l’une de nos cantines préférées. Au moins là, pas besoin de réservation et nous étions certains d’être servis.
Les sacs bouclés, nous embrassons Ketut en lui promettant de revenir cet été pour la crémation de la mamy et montons dans le minivan pour l’aéroport à 14 h 30. L’Airbus A320 d’Air Asia décolle à 19 h 10 comme prévu. Et comme à chaque fois que nous quittons Bali, le cœur bat fort dans la poitrine et les larmes ne sont pas très loin de rouler sur nos joues…