L’envie d’une chasse aux nouvelles murales nous prend juste après le petit-déjeuner. Armé de mon Nikon, je marche d’un bon pas à la recherche de peintures que je n’ai pas encore photographiées. Nous en avons découvert quelques-unes, dont une grande sur un parking récemment ouvert, mais au cours d’une simple promenade sans nos appareils. Aujourd’hui, je me dépêche donc d’y arriver avant l’afflux des voitures ; peine perdue, une Protongarée juste devant me gêne dans la prise de vue. Incertains de retrouver de meilleures conditions que celles de ce matin, nous la mettons tout de même dans la boite. Dans une impasse près de notre hôtel, un artiste commence à peine le dessin des deux siennes. Nous devrons repasser lorsque le travail sera plus avancé. Plus loin, une série de 3 œuvres en noir et blanc a vu le jour, il y a une quinzaine de jours. Par contre, fait tout à fait récent, des tags et coups de bombe d’une laideur sans nom sont en train de fleurir un peu partout sur les murs. Si les autorités locales n’y mettent pas fin rapidement, la prolifération sauvage de ces horribles graffitis va devenir très vite incontrôlable et défigurer ce qui demeure encore aujourd’hui une jolie ville ancienne. Ce serait un réel gâchis.
Assis autour d’une table de camping casée à l’ombre d’un parasol, quatre policiers de faction à un carrefour peu fréquenté consultent leurs téléphones mobiles en grillant tranquillement une cigarette. Un matin, dans notre restaurant habituel, ils étaient huit à siroter à qui un teh tarik, à qui un thé glacé. Sans considération aucune envers les autres clients, ils tiraient sur leurs clopes juste sous le panneau d’interdiction de fumer qui indique que tout contrevenant devrait théoriquement s’acquitter d’une forte amende et, pour les récidivistes, encourir une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans. Mais la loi ne doit pas être la même pour eux que pour les autres. Comme si de rien n’était, et parce qu’ils sont Malais avant tout, ils nous gratifient tous d’un grand sourire ou d’un signe amical de la main. Je n’ajouterai donc rien qui puisse porter préjudice à la profession certainement la plus cool de Penang. Ils auraient pourtant beaucoup à faire entre la gestion des embouteillages, les stationnements inopinés en double ou triple file, les remontées des motos en sens interdit sur les trottoirs lorsqu’il y en a. Bref ! Comme partout ailleurs, quand le chat n’est pas là, les souris dansent… En arrivant à l’hôtel, je me foule la cheville sur une petite marche mal placée devant les toilettes ; me voilà puni pour mes vilaines pensées ! Heureusement, le sac de glaçons que Chantal est vite allée chercher a bien joué son rôle et empêché l’articulation de trop gonfler. J’en suis quitte pour une légère entorse qui va me gêner un jour ou deux.
Après une journée de plage à Batu Ferringhi, la pluie fait son retour le lendemain alors que nous sommes à prendre un café sur la terrasse de l’Awesome Canteen. Chantal doit même changer de place, la sienne étant plus exposée que la mienne aux gouttes qui passent à travers le feuillage d’un des arbres plantés là. Pour notre fidélité à ce bar, le jeune employé n’encaisse qu’un seul de nos cafés ; sympa et très rare !
Une déception nous attend en traversant Little India : toutes les boutiques ont le rideau baissé alors que nous pensions trouver une grosse animation. Est-ce à cause de la fin des festivités de Deepivali ? Nous n’obtenons nulle part de réponse satisfaisante à notre question. Nous choisissons donc d’aller bouquiner deux ou trois heures à l’Eastern & Oriental Hotel dont le parking est squatté par… 22 Ferrari rouges, jaunes, blanches ou noires. L’une d’entre elles arbore même une couleur orange, lumineuse certes, mais peu flatteuse à mes yeux. Juste pour le plaisir, Chantal et moi nous prenons mutuellement en photo au milieu des bolides. Lorsqu’ils partent tous en même temps une heure plus tard, le vacarme des échappements est tel que nous ne parvenons plus à nous concentrer du tout sur notre lecture. Joli son, d’accord, mais étourdissant tout de même !
Lors d’un achat dans une supérette du centre-ville, nous restons totalement interdits devant l’accoutrement religieux d’une famille musulmane. Nous n’avions pas encore vu chose pareille depuis que nous voyageons. Que le père arbore une barbe hirsute jusqu’au nombril, un kufisur la tête et que la mère soit revêtue d’un jilbabnoir, soit ! Mais qu’ils habillent leurs deux filles dont la plus âgée doit avoir au maximum six ans de la même manière, avec seulement les yeux apparents, nous exaspère au plus haut point. Le garçonnet d’environ quatre ans avec une tenue islamique identique à celle de son père attend sagement derrière tout ce petit monde. Nous ne parvenons pas à admettre ce comportement cruel : obliger de pauvres gosses sans défense, qui ne comprennent encore certainement rien à la religion, à se couvrir de la sorte relève à nos yeux de la plus complète intolérance. Empêtrées dans leurs vêtements qui ne doivent pas laisser apparaître le moindre centimètre carré de peau, les deux gamines ne peuvent même pas jouer ou se comporter comme des enfants de leur âge. Muets de stupeur, nous les regardons attendre sans broncher devant la caisse. Est-ce vraiment cela la religion ? Si tel est le cas, alors je souhaite, comme John Lennon, un monde sans ces croyances divines qui rendent les gens complètement fous…
Comme toutes les semaines, nous allons une fois à la plage. Le grand ciel azur d’aujourd’hui nous y invite. Quand nous arrivons à notre emplacement habituel, un couple de jeunes Indiens occupe les deux transats. Déception ! Alors, pour nous faire tout simplement plaisir, ils se lèvent dans un même élan et nous offrent leurs places. Malgré nos protestations, ils nous obligent presque à nous y asseoir. La fille, très souriante et assez forte, reste discuter un peu avec nous. Après mon petit problème avec le motard de l’autre jour, cela nous réconcilie avec cette population aux us et coutumes vraiment différents des nôtres. En fait, la gentillesse de ces deux jeunes personnes arrive à point pour contredire notre jugement, certainement un peu trop hâtif, et nous rassurer.
Le vent absent nous oblige à beaucoup nous mouiller pour combattre la chaleur. Malheureusement, dans le milieu de l’après-midi, portée par le courant, une nappe répugnante de détritus de toutes sortes vient s’échouer sur le sable. L’impossibilité de poursuivre les baignades nous contraint à partir. De toute manière, l’heure du retour avait sonné ; mais, apparemment, pas encore celle de la prise de conscience des populations locales qui continuent de jeter leurs ordures à la mer un peu partout en Asie. Et, d’un coup, je pense aux nombreux containers personnels verts qu’on trouve dans les rues de George Town et qui, pour la grande majorité d’entre eux, sont cadenassés à l’aide d’une chaine qui maintient le couvercle fermé. De ce fait, les sacs plastiques s’amoncellent invariablement à leur pied. Quant aux poubelles elles-mêmes, elles servent au mieux de meuble sur lequel on entasse en vrac toutes sortes de choses ou, pire, terminent leur vie d’inactivité lamentablement défoncées dans un caniveau. Ne nous demandez pas la raison pour laquelle les gens ne les utilisent pas, nous ne la connaissons pas !
Un mal de dos carabiné me cloue à la chambre toute une journée. Après la météo clémente des deux derniers jours, la pluie revient en effet avec une prodigalité que nous n’imaginions même pas. Le ciel s’abat littéralement sur nos têtes ou, du moins, sur les reins en ce qui me concerne. Je les débloque un peu avec des médicaments que Pierre m’avait donnés à Bali. Je l’en remercie aujourd’hui, ils me soulagent véritablement.
Avant de diner, Chantal m’entraine dans un centre commercial où elle a repéré un sac ce matin, profitant de mon incapacité à me déplacer. Je ne peux vraiment pas dire que j’y cours ; je traine, au contraire, ma peine jusqu’au fameux rayon où s’entassent des choses plus ou moins informes, plus ou moins jolies qui vont pourtant trouver preneuses. Comment a-t-elle fait pour y trouver son bonheur ? De ce point de vue, elle m’épatera toujours. Après quelques hésitations, à mon avis bien compréhensibles, elle ressort du magasin avec un nouveau sac. Foutu mal de dos !