En octobre 2000, je me faisais opérer du dos le vendredi 13. Tout s’était heureusement bien passé, mais j’avoue ne pas être très fan de cette date. Notre petit malheur étant déjà arrivé hier, nous devrions donc être tranquilles aujourd’hui.
Chantal n’a évidemment pas très bien dormi. Elle devait impérativement maintenir son bras en l’air ou, du moins, posé sur deux oreillers. Être couchée dans cette position n’est la chose la plus aisée. Mais elle a tenu.
Au petit-déjeuner, une dame de Chamonix dont nous avons fait la connaissance la veille au retour de l’hôpital nous apprend qu’elle a subi un vol à la tire dans un tuk-tuk de Phnom Penh et que, déçue de Kampot et du Cambodge en général, elle nous quitte tout à l’heure pour aller à Ko Chang, en Thaïlande, ile qu’elle apprécie. Ce sera aussi notre prochaine destination et notre départ d’ici nous taraude déjà. Demain? Dans une semaine? À la fin du visa? Après une rapide réflexion, nous décidons d’attendre une dizaine de jours pour que Chantal puisse avoir son plâtre définitif, le chirurgien suisse lui inspirant confiance.
Nous partons donc à la découverte de la ville à pied. Le bras en écharpe, ma petite femme suit courageusement. Même si ses doigts ont un peu gonflé, elle n’a pas trop mal, les antidouleurs achetés à la pharmacie désuète du coin devant faire leurs effets. Pour nous reposer un peu, nous faisons une halte chez une marchande de jus de canne à sucre. Le breuvage qu’elle nous sert nous désaltère aussitôt, ce qui nous étonnera toujours. Il vaut très largement toutes les sortes de sodas dont les jeunes se gavent à longueur de journée. Ils ne savent pas ce qu’ils perdent. Pas des kilos en tout cas!
Après avoir passé les heures chaudes, bien à l’abri de la guesthouse, nous ressortons en fin de journée pour aller prendre une bière dans un des bars les plus fréquentés de Kampot. Calés dans un fauteuil en osier, nous apprécions tous les deux ce moment de détente face à la rivière. Puis, nous commandons, comme la plupart des autres clients, d’énormes ribs qui ont fait la notoriété de l’établissement. Je prépare l’assiette de Chantal pour qu’elle puisse les attraper avec les doigts avant d’attaquer la mienne. Plus un mot ne sera échangé jusqu’à la fin du repas! Divin! Nous n’avons plus mangé autant de viande depuis notre départ de France. Nous rentrons repus et contents. Cela change d’hier à la même heure.
Chantal s’allonge dans le lit comme elle le peut après que je l’aie déshabillée. Pour ma part, je me couche aussi, car j’ai envie de regarder le foot cette nuit sur mon ordi. Je me réveille seulement à la fin du match! J’ai tout raté. Mais de terribles nouvelles commencent à tomber : des attentats viennent d’être perpétrés aux alentours du stade. Je secoue aussitôt Chantal et me dépêche d’envoyer un mail à Alexis et Hélène à Paris. Nous recevons, soulagés, une réponse de leur part dans la minute qui suit. Comme nous, ils sont à l’écoute des événements. Nous demeurons ainsi, l’oreille collée à la radio le restant de la nuit et toute la matinée. Nous sommes abasourdis par cette tragédie. Moi qui m’insurgeais contre l’instrumentalisation de l’islam au nom du fanatisme et de l’obscurantisme, je suis atterré, révolté, mais aussi désabusé. J’ai peur d’être devenu soudain pessimiste… Heureusement, les hommes ont toujours réussi à relever la tête; je serai de ceux-là!
Nous sommes le vendredi 13 novembre 2015…