Ne souhaitant pas rester faire les magasins avec nos amis par le beau temps qui s’annonce en cette nouvelle matinée, je loue une moto et pars faire quelques photos dans des endroits où nous passons rarement avec Chantal. Je profite donc d’être seul pour aller jusque Tha Lane et errer sur les pistes et petites routes du coin. À mes yeux, les paysages que je traverse surpassent encore ceux de Krabi, pourtant magnifiques. La mangrove offre des vues surprenantes sur une baie hérissée de nombreux pitons calcaires qui n’a rien à envier à sa grande sœur vietnamienne d’Along. Après avoir serpenté au milieu des champs d’ananas, je découvre, complètement par hasard, au pied d’un énorme pic dont la roche semble dégouliner jusqu’au sol, un bassin d’une clarté absolue, planté au cœur de la forêt. Sa couleur émeraude s’accorde parfaitement avec le vert de la nature. Magnifique! Je suis seul et voudrais me baigner. J’hésite cependant en lorgnant le ponton de bois, en partie effondré. Trouvant bizarre que personne ne patauge dans ce bijou aquatique, je préfère m’abstenir par crainte de tomber sur une eau souillée malgré sa limpidité ou sur des poissons inconnus qui viendraient me chatouiller les mollets et les orteils. J’en ai déjà fait l’expérience, assez désagréable en ce qui me concerne, lors d’une baignade dans l’un des bassins d’une forêt près de Kanchanaburi. Mais quand je reviens, une demi-heure plus tard, toute une bande de jeunes thaïs s’amuse en sautant du petit pont. Je regrette de ne pas avoir cédé à la tentation, mais passe tout de même mon chemin. Lorsque je rejoins les autres le soir, mon esprit se promène toujours quelque part du côté de Tha Lane, tandis qu’ils me narrent leur journée d’achats. Georges et Claudine nous racontent la leur devant une bière particulièrement bienvenue par cette chaleur. Nous allons tous les six diner au marché, chacun choisissant son menu dans les innombrables stands de nourriture: à qui un curry, à qui des brochettes, à qui une salade. On y trouve tous notre compte et une ambiance joyeuse règne autour de la table. Sur la scène, proche de nous, un saltimbanque manie avec une adresse diabolique ses boules en flamme sur de la musique electro. Sa jonglerie m’impressionne réellement. Pour finir, nous perdons Georges et Michel, restés interminablement tester leur espagnol avec une jeune brune aux longs cheveux. Leurs compagnes n’ont que moyennement apprécié, Michèle ayant même dû faire ouvrir sa chambre avec un passe. Michel avait la clé dans sa poche!…
Depuis le temps que nous l’attendions, la bonne nouvelle arrive enfin le lendemain après-midi, vers 16 heures, sous la forme d’un mail qui nous informe de l’arrivée de notre fils ainé, Alexis, et de son amie, Hélène. Nous en parlons depuis pratiquement un an, depuis ce jour où, se rendant en vacances en Australie, ils sont passés à une dizaine de petits kilomètres, juste au-dessus de nos têtes, alors que nous séjournions à Bali. Ils visitent la Thaïlande depuis une douzaine de jours déjà, mais viennent ici à Krabi profiter des trois derniers jours de leur séjour en notre compagnie. Nous nous donnons rendez-vous auprès de la sculpture du crabe, symbole de la ville. Quelques minutes plus tard, nous nous jetons dans leurs bras. Heureux de nous retrouver, ils nous expliquent qu’ils sont aussi tombés sous le charme de ce pays, celui du sourire. Certes moins développée que le Japon, seul pays asiatique qu’ils connaissaient jusqu’à maintenant et qu’ils avaient apprécié, la Thaïlande a su les séduire avec ses deux atouts principaux: la gentillesse de sa population et la variété de sa cuisine. Après leur passage à Krabi, j’espère qu’ils y ajouteront la beauté des paysages.
Après un tour succinct de la ville, nous fêtons nos retrouvailles à la terrasse de notre hôtel avant d’aller leur présenter nos plats favoris, sur le marché de nuit. Comme nous la première fois, Alexis ne résiste pas à l’envie de savourer l’excellent beef curryaux nouilles qui mijote dans un poêlon en terre. Chantal commande la même chose tandis que la femme me concocte, sans même me consulter, un énorme bol de seafood tom yam. Quant à Hélène, voulant choisir autre chose, elle salive devant les stands, plus attrayants et appétissants les uns que les autres. Elle nous rejoint, quelques instants plus tard, les bras encombrés de plein de bonnes choses. Personne ne pipe mot, chacun est concentré avec son plat. Ce n’est que lorsque les assiettes sont vides que les langues, un peu chahutées par les épices, se délient. Hélène et Alexis ont grandement apprécié leurs mets. Pour compléter le repas, j’achète des gâteaux qui ressemblent à de la bouillie agrémentée de noix de coco râpée et de grains de maïs. On les fait cuire, en forme de demi-boule, sur une plaque en fonte creusée de nombreux trous qui rappelle un plat pour escargots. Chantal et moi en mangeons souvent en guise de dessert. J’attends avec une certaine appréhension le verdict des enfants: délicieux, notent-ils en se léchant les babines… On se dit à demain en quittant ce marché de nuit animé. Ils sont fatigués de leur journée de voyage en minivan depuis Phuket (malgré la belle route, trajet de quatre heures tout de même, pour seulement 190 kilomètres).
Le soleil brille de mille feux lorsque l’embarcation traditionnelle en bois s’éloigne du port de Krabi et longe le littoral vers Railay. Petite péninsule située entre Krabi et Ao Nang, elle n’est accessible que par mer du fait des hautes falaises calcaires qui l’isolent du reste de la région. Ces parois karstiques en font un site d’escalade mondialement connu. Réputée aussi pour ses plages, celle de Phra Nang est souvent considérée comme l’une des plus belles du pays, sinon du monde; nous confirmons cette analyse. Devant tant de splendeur, Alexis et Hélène ne savent plus où tourner le regard. Vers les grimpeurs qui se cramponnent à la roche blanchie par la magnésie? Vers les ilots éparpillés dans une mer émeraude? Vers les centaines de phallus, déposés par les futures mamans en signe de reconnaissance, qui tapissent deux grottes naturelles? Sitôt après avoir enfilé un maillot, ils filent piquer une tête dans l’eau dont la température les surprend. Certainement au-dessus des 30°, elle parait aujourd’hui assez proche de celle du corps. Nous jouons un long moment à nous lancer une balle rebondissante au milieu des autres baigneurs. Le midi, les enfants vont s’acheter deux plats dans l’un des cinq bateaux-cuisines. Je ne sais pas s’ils feront partie de leurs souvenirs gustatifs, mais, au moins, le resteront-ils dans le rayon des plus beaux pique-niques. Nous quittons ce lieu féérique, non sans avoir pris un dernier bain dans la grotte largement ouverte du bout de la plage, celle où les rochers ressemblent à des gouttes d’eau qui dégoulinent le long de la falaise. N’en jetez plus! Le retour en bateau jusqu’à Ao Nang donne un bon aperçu de cette géologie si particulière. Nous empruntons un taxi collectif pour retourner à Krabi, où, après le diner sur le marché, nous ne trainons pas longtemps. Nous avons tous les quatre les yeux lourds après cette belle journée et Alexis exhibe de jolis coups de soleil. Le pauvre va en baver cette nuit!
Nous prenons le petit-déjeuner du lendemain matin tous les quatre dans un restaurant près de notre hôtel. Nous faisons tous honneur au muesli copieusement servi avant de nous rendre dans les magasins de souvenirs à la recherche de cadeaux qu’Alexis et Hélène veulent ramener en France, pour eux, mais aussi pour leurs collègues de travail. Nous profitons de passer à côté pour rentrer dans le Wat Kaeo Korawaram qui domine la rue principale. Tandis que je suis assis à la fraicheur du temple, nous faisons la connaissance d’un couple de Dinan, ma ville natale, qui est en train de terminer son séjour. Dans deux jours seulement, les pauvres reprennent le boulot! Dur, dur…
Dans l’après-midi, nous arrêtons un songthaewqui nous dépose vingt minutes plus tard au pied du piton rocheux du Wat Tham Suea, le Temple de la Grotte du Tigre. Les 1 237 marches n’effraient pas les enfants, mais un peu Chantal qui les a pourtant escaladées une fois. Après avoir regardé les singes s’amuser un peu, nous abordons l’escalier, plutôt désinvoltes. Chacun trouve son rythme: Alexis mène sans peine, Hélène et moi montons de concert, tandis que Chantal prend déjà du retard. À mi-chemin, contrairement aux autres fois où je n’avais pas trop souffert, le souffle me manque. J’éprouve le besoin de m’arrêter assez souvent. Hélène continue presque sans faiblir, Alexis nous snobe avec ses deux volées d’avance et Chantal a complètement disparu de notre vue. Pourtant, chacun s’accroche et poursuit l’impressionnante grimpette. Les marches deviennent de plus en plus hautes et l’effort demandé pour les gravir de plus en plus pénible. Sur le dernier palier, Hélène regarde Alexis déjà arrivé en haut, évalue l’escalier qui lui fait face et entame son ultime ascension. Je ne parviens même pas à la suivre. Je suis lessivé, vraiment dans une journée «sans», comme le disent les sportifs. Lorsque je pose enfin le pied au sommet, je me doute que Chantal a certainement dû commencer à redescendre. Dommage pour elle, car le panorama sur les pitons environnants vaut vraiment le coup d’œil. On oublie, en outre, très vite l’énergie déployée pour se hisser jusqu’ici. En cette fin d’après-midi, une légère brume et le soleil déclinant mettent en valeur les arrière-plans que les nombreux monts karstiques dessinent de manière majestueuse. Nous sommes en train de les admirer, lorsqu’une voix familière résonne derrière nous. Chantal, rougie par l’effort, en nage, mais rayonnante, lève les bras au ciel en rigolant. Elle a une nouvelle fois réussi. Nous restons une bonne demi-heure sur le belvédère qui abrite une grande statue dorée de Bouddha et qui domine tout la région. Au loin, les fameux rochers de Krabi Town paraissent ridiculement petits, vus d’ici. Un Anglais accepte de nous prendre en photo tous les quatre ensemble. Nous garderons ce moment bien au chaud dans un coin de notre mémoire. La descente nous semble bien facile quand nous croisons ceux qui montent, les yeux hagards et au bord de l’asphyxie. Une fois en bas, aucun de nous n’a mal aux jambes. Heureusement, dois-je préciser, car les chauffeurs de taxi, un peu crapuleux tout de même, tentent de nous arnaquer sans vergogne. Aussi décidons-nous, d’un commun accord, d’entamer à pied le chemin du retour. Nous marchons depuis trois bons kilomètres lorsqu’un minivan s’arrête à notre hauteur. Le conducteur nous propose de nous ramener en ville pour le prix normal de la course. Nous acceptons avec joie. Un quart d’heure plus tard, nous sommes attablés à la terrasse d’un bar du centre-ville en train de siroter une bière, bien méritée celle-là!
Sur le marché de nuit, Chantal fait découvrir la papaya saladà Hélène. Elles la complètent avec des brochettes de saucisses épicées. Comme moi, Alexis se laisse tenter par un gros poisson grillé devant nous. On nous le sert avec une sauce très piquante. Trop bon! Puisque nous avons aujourd’hui les jambes de feu, nous traversons une partie de la ville pour aller déguster, sur le trottoir, d’excellents roti banana qu’Hélène et Alexis affectionnent autant que nous. Nous sommes contents de constater qu’ils osent tous les deux s’aventurer dans des dégustations, même si parfois elles peuvent sembler un peu hasardeuses pour des non-initiés. N’est-ce pas ainsi que les voyages se font apprécier? Ce soir encore, je pense qu’ils s’endormiront bien vite!
Les Mimi qui ont eu la délicatesse de nous laisser seuls avec les enfants partent ce matin pour Koh Lanta, avec un ami venu se joindre à eux. Nous ne les reverrons pas de sitôt. Ils rentrent en France au début du mois de mars, tandis que nous serons à Bali. Nous leur souhaitons une bonne fin de séjour en Thaïlande.
Avant de rejoindre Alexis et Hélène en milieu de matinée, nous retournons manger une soupe au poulet et aux nouilles chez nos petites mamies. Nous leur avons, en effet, fait quelques infidélités ces derniers jours. L’assiette terminée, nous nous retrouvons tous les quatre pour aller faire un tour dans un parc près de la rivière. Sur des engins de torture, nous nous amusons à jouer à Monsieur Muscle à l’ombre bienvenue des grands arbres et prenons le temps de nous relaxer un peu. Contrairement à nous deux, les enfants mangent le midi. Aussi nous dirigeons-nous vers le petit marché du centre-ville. Hélène se fait préparer une nouvelle papaya saladqu’elle a l’air d’apprécier, Alexis choisit un poulet au curry vert qui me fait bien envie, tandis que Chantal et moi nous partageons un délicieux shakeà la mangue. Nous passons l’après-midi à papoter, tranquillement installés sur la terrasse de notre hôtel, avant de rejoindre le leur. Le taxi qui doit les emmener à l’aéroport arrive les prendre juste à 17 heures, comme prévu. Il ne nous reste plus qu’à les remercier vivement de leur visite, un peu trop courte à notre goût, mais qui nous a tant fait plaisir. Ils ont été tous les deux charmants et très patients devant notre enthousiasme à leur raconter nos péripéties. Bonne route à eux vers Bangkok, puis vers Dubai où ils doivent passer une nuit avant de continuer vers la France!
Ce soir, sur notre table du marché, nous avons tous les deux le cœur un peu gros…
Mais ne trainons pas trop et allons préparer les sacs pour demain. Nous avons deux longues journées de transport qui nous attendent et qui nous mèneront vers Bali…