Pas de chance ! Ou bien, si ! Beaucoup même ! Car ce matin, il pleut, ou du moins il bruine, comme en Bretagne. Hier soir, la lumière était magnifique sur l’erg Chebbi long de treize kilomètres et large de cinq, et le ciel était pur. Le couple de Français avait pourtant préféré reporter leur promenade en chameau à ce matin. Ils n’ont vraiment pas de bol, d’autant plus que la couche nuageuse, très basse aujourd’hui, gomme complètement le relief. Vêtus d’un K-Way, ils partent tout de même. Pour notre part, nous aurions aimé refaire une petite balade dans les dunes, mais, vu la météo, nous préférons partir pour l’étape suivante: Zagora et la vallée du Drâa.
Toujours sous les gouttes, nous visitons le mausolée Moulay Ali Chrif à Rissani, berceau historique de la dynastie alaouite. On peut y voir de belles portes et de jolies mosaïques, mais je trouve l’intérêt du lieu assez limité. Pourtant, nous sommes en train d’en sortir lorsqu’un groupe de touristes allemands bavards y pénètre.
Nous continuons la route vers Alnif à travers un paysage lunaire. Sous le soleil enfin revenu, les cailloux de la plaine et les roches des montagnes juxtaposent leurs couleurs particulières pour composer une palette chromatique dans un beau camaïeu de pourpre, du plus clair au plus foncé, parsemé de petites touches de vert pour la complémentarité. Comme pratiquement partout ailleurs, dans le sud du Maroc, la beauté du lieu me bouleverse. Les paysages se succédant sans aucune monotonie depuis le départ de Marrakech, je ne m’ennuie, en fait, pas une seule minute au volant. On peut, en effet, passer en quelques kilomètres d’un décor quasi désertique à une oasis luxuriante ou bien encore d’une plaine rocailleuse à la montagne, voire la haute montagne… Une fois de plus, nous nous arrêtons sur le bord de la route pour prendre des photos. Cette fois, ce sont d’étonnants nuages, en forme de soucoupes volantes, posés au-dessus d’une colline pelée qui nous interpellent.
Plus loin, des palmiers-dattiers sont en train de mourir à cause de la sécheresse. On nous explique que cela fait maintenant deux années qu’il n’est pas tombé une goutte. Et dire qu’à une centaine de kilomètres, il pleuvait encore il y a quelques heures; mais peut-être pas assez pour donner un bon coup de fouet aux plantations. Après un long virage à flanc de montagne, la route débouche sur le un oued au bord duquel se dressent quelques casbahs au milieu d’une palmeraie; Tazzarine n’a pas vraiment d’intérêt, mais le paysage de plaines rocailleuses, sur lesquelles se dressent des pics rocheux pourpres, qui l’entoure est fascinant. Plus loin, Nekob est connue dans la région comme la cité aux 45 casbahs, un record au Maroc. Puis on pénètre dans la vallée du Drâa proprement dite. À la bifurcation vers Zagora, de nombreux marchands proposent leurs dattes aux passants. Nous ne résistons pas à l’achat d’un kilo de ces fruits gorgés de sucre et de couleur bien appétissante. Nous en dévorons aussitôt une douzaine chacun, certainement pour nous venger un peu : depuis des kilomètres, elles nous narguaient trop, du haut de leurs palmiers ! Les villages et les casbahs se succèdent le long du beau bitume qui mène à Zagora. Nous y faisons de nombreuses haltes.
Pas comme à l’entrée de Zagora où, voyant un homme au milieu de la chaussée qui me fait signe de m’arrêter, je zappe le stop demandé en le contournant par la file de gauche, au grand dam de Chantal. Je ne veux pas avoir affaire avec ces rabatteurs qui officient à l’entrée des grandes villes touristiques. Arrivé à sa hauteur, je m’aperçois qu’une voiture de police est garée un peu en retrait. Je m’arrête quelques dizaines de mètres plus loin. L’homme en question, me rejoint, me fait ouvrir mon carreau. Se présentant comme policier en civil, il me demande pourquoi, j’ai pris la file de gauche et n’ai pas obtempéré à sa demande d’arrêt. Il éclate de rire lorsque je lui dis que je l’ai pris pour un rabatteur et, toujours plié en deux, me laisse partir sans ennui. J’ai eu chaud !
La ville de Zagora n’a rien de forcément attirant, seul son nom fait rêver. Nous nous contentons donc de rester dans l’hôtel correct que nous avons trouvé, mangeons sous la tente berbère pour, sitôt le diner terminé, retourner dans notre chambre. J’ai encore un gros stock de photo à trier avant de m’endormir…
Nous nous levons aux aurores le lendemain matin pour, avant le petit-déjeuner, grimper au sommet du djebel Zagora qui domine la ville. Le soleil est à peine levé lorsque nous attaquons les premières pentes pierreuses de la montagne. Contents tous les deux d’avoir troqué nos tongs pour nos chaussures de sport, nous avançons comme nous le pouvons sur le sentier caillouteux à peine visible qui serpente parmi les roches. Sous la lumière matinale, la palmeraie d’où émerge la ville est magnifique. Nous apprendrons, un peu plus tard dans la matinée qu’elle produit 66 sortes de dattes différentes ! En attendant, la montée continue. Sans le vouloir, nous nous écartons une fois ou deux du sentier mal balisé. Après quelques moments d’errements, nous arrivons à le retrouver. Il contourne ensuite la montagne pour passer sur l’autre versant. La vue qui s’offre alors à nous est époustouflante. Le désert s’étend là, à nos pieds, à perte de vue. ébahis devant cette beauté, nous en profitons pour reprendre un peu de notre souffle avant de reprendre la montée. En fait, nous faisons demi-tour un peu avant, car le chemin, continuant sa volte, repasse sur le premier versant avant d’atteindre le sommet.
Le petit déjeuner qu’on nous sert, une nouvelle fois sous la tente berbère dans le jardin, nous requinque en partie. Nous complétons avec une bonne poignée de dattes qui nous restent d’hier.
Avant de quitter la ville, nous nous arrêtons faire LA photo que tout voyageur passant par Zagora se doit de prendre : celle où il pose devant la pancarte indiquant Tombouctou à 52 jours. Nous sacrifions au rituel avant de rejoindre le village voisin, à quelques kilomètres plus au sud.
Je trouve à garer la voiture au centre d’Amezrou, tout près du mellah, l’ancien quartier juif. Essentiellement peuplé par les Draoui, nomades originaires du Soudan qui ont donné leur nom à la vallée du Drâa, le village se dresse à l’orée de la palmeraie et du désert. Ils y cultivaient les dattiers selon un système séculaire gardant un cinquième de la récolte pour eux, les propriétaires en récupérant les trois cinquièmes et le cinquième restant étant distribué aux pauvres. C’est Mustapha, le Touareg tout de bleu vêtu qui nous a invités à visiter sa vieille maison familiale, vieille de 300 ans, et à boire le thé, qui nous raconte ces anecdotes; comme d’ailleurs celle de la création de la palmeraie qui, selon lui, aurait vu le jour grâce ou à cause des caravaniers qui y faisaient étape après une longue traversée du Sahara. Ils jetaient leurs noyaux en cet endroit !
Après nous avoir fait faire le tour de chaque pièce de sa maison où s’entassent, bien rangées, une quantité incroyable de vieilleries berbères et touaregs, il nous raccompagne jusque la voiture. Sur la place où elle est garée, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre sont assis à même le trottoir à l’occasion du décès de la seconde femme de son père. Quelques-uns viennent le saluer. Nous en faisons autant. Il nous explique qu’elle n’était pas sa mère…