Incroyable ! Par deux fois, une annonce au micro demande à Chantal de se présenter au comptoir d’Air Asiaà l’aéroport de Krabi. La première parce que l’étourdie a bêtement oublié sa batterie de recharge dans son sac alors que toutes les affiches près de l’enregistrement invitent à ne pas le faire et la seconde pour la raison que nous n’étions pas au bon terminal. Pour notre défense, nous n’avons pas eu le choix puisque les douaniers nous ont orientés vers celui des vols internationaux alors que le premier de nos deux déplacements d’aujourd’hui est intérieur dans la mesure où nous devons faire une escale de trois heures à Bangkok. Bref, entendre son nom annoncé en anglais par une Thaïe a provoqué à la pauvre Chantal une forte hausse de la fréquence cardiaque !
Nous arrivons à Luang Prabang en milieu d’après-midi. Le survol de cette région montagneuse et sillonnée par le Mékong vaut vraiment le coup d’œil et nous avons de la chance de pouvoir en profiter malgré nos places au-dessus des ailes. Nous obtenons nos visas laos au bureau de l’immigration de l’aéroport sans difficulté particulière hormis une longue queue d’attente et arrivons à l’hôtel une heure et demie après l’atterrissage. Nous retrouvons avec plaisir notre gite en bois du centre-ville, mais le papy devenu moine pour un temps indéterminé a laissé les rênes à sa fille. Les sacs à peine déposés dans la chambre en teck, nous partons sur les bords du Mékong assister à notre premier coucher de soleil et savourer notre première Beerlaoavant de diner sur le marché de nuit. Comme lors de nos séjours précédents, nous nous laissons tenter par une saucisse locale grillée pour Chantal, un blanc de poulet en brochette pour moi et une grande assiette de pâtes et légumes divers pour nous deux. Et pour terminer en beauté, nous jetons notre dévolu sur une panière de coquets œufs coco.
Nous rentrons au bercail après une courte halte devant les étalages d’artisanat du marché. J’y achète une longue écharpe à petits carreaux blancs, bleus et gris pour 2 euros. Gros investissement, donc !
Après une bonne nuit de sommeil, nous partons prendre le petit-déjeuner assez loin de l’hôtel, à la Scandinavian Bakeryque nous fréquentons depuis notre première venue au Laos en 2006. Nous n’y avons jamais été déçus. Aujourd’hui encore, le menu n° 2 avec ses deux viennoiseries, beurre et confiture, ses deux œufs sur le plat, son jus de fruit, son verre d’eau et sa boisson chaude, en l’occurrence un café à renouveler une fois pour Chantal et un grand chocolat pour moi, ne fait pas débat. Avec un tarif inchangé depuis plus de 4 ans, il constitue toujours le meilleur rapport qualité-prix de la ville. Nous le constaterons au fil des jours en comparant avec la carte des autres établissements. Nous lui serons seulement deux fois infidèles pour varier les plaisirs et manger une soupe dans une gargote locale.
Revenus à la chambre dans l’après-midi, nous avons la mauvaise surprise d’avoir juste sous notre fenêtre une réunion de famille lao très arrosée où tous les membres se succèdent au micro d’un karaoké. La sono, très forte, nous agace assez rapidement, mais nous résistons jusqu’au diner en tentant d’écouter notre propre musique dans nos casques. À notre retour du marché de nuit, la fête continue avec des hôtes masculins et féminins désormais passablement éméchés. Elle ne s’achève qu’à minuit pile. Bien énervés, nous nous endormons bien plus tard… Au grand étonnement de notre logeuse pourtant adorable, nous bouclons les bagages dès le lendemain matin et partons en quête d’une autre chambre dans le quartier. Nous en trouvons une dans une rue parallèle à deux pâtés de maisons de là. Un peu plus chère et moins typique, elle nous semble cependant mieux équipée et surtout mieux insonorisée avec des cloisons en béton et non plus en bois. Son superbe plancher en teck qui met les meubles et la porte en valeur finit de nous séduire : nous adorons marcher nu-pieds sur cette matière… Nous y demeurerons en fait jusqu’à la fin de notre séjour à Luang Prabang, c’est-à-dire 19 nuits. Mais, nous ne le savons pas encore lorsque nous en prenons possession ; nous avons juste promis de rester au moins une semaine aux propriétaires.
En général, après le petit-déjeuner copieux de la Scandinavian Bakery, nous partons faire un tour en ville. Ainsi un matin, nous allons nous promener du côté du pont métallique qui enjambe la Nam Kane, rivière qui se jette dans le Mékong à quelques centaines de mètres en aval. Les voitures ne sont pas autorisées sur ce vieil ouvrage datant de la colonisation française. Seuls les vélos et les motos peuvent le traverser. Les piétons, eux, doivent emprunter un étroit passage peu rassurant avec ses planches disjointes suspendu à une dizaine de mètres au-dessus de la rivière. À chaque fois que nous sommes obligés de le prendre, Chantal m’en veut d’avoir choisi ce but de promenade. Elle ne voit alors rien du panorama sur la campagne et sur la ville, le regard fixement rivé sur ses pieds et les mains fermement agrippées à la balustrade. Aujourd’hui, je ne lui ai pas encore avoué que j’ai l’intention de regagner la rue principale par un frêle pont de bambou situé près du confluent. Mise devant le fait accompli, elle veut immédiatement faire demi-tour. Je lui explique que, dans ce cas, elle devra marcher quatre kilomètres pour me rejoindre sur la rive opposée, alors que le fragile édifice mesure moins d’une centaine de mètres. Argument certainement convaincant, car, sans piper et le visage fermé, elle descend les quelques marches qui y mènent. Je la laisse filer seule devant pour ne pas la déconcentrer. Ne lui demandez pas ce qu’elle a vu, elle n’en sait fichtre rien. Il faut avouer que la construction oscille dangereusement et que je peine quelque peu à garder l’équilibre lorsque je dois croiser une autre personne. Quelques minutes plus tard, très loin d’avoir battu le record de la traversée, mais avec un large sourire au coin des lèvres, Chantal m’attend de l’autre côté. Elle a vaincu sa peur et savoure…
Un matin, nous nous rendons au Consulat du Vietnam afin d’obtenir un visa qui va nous permettre de poursuivre le voyage vers cette destination. Nous avons en effet promis à Rodolphe, un copain d’ailleurs rencontré au Laos et, depuis, installé à Hanoi, d’aller le voir un jour dans son nouvel hôtel qu’il tient avec sa femme. Ce moment est donc arrivé.
Mais pour l’instant, nous profitons pleinement de Luang Prabang. Pour ce faire, nous louons en début de journée une moto pour nous rendre en toute indépendance aux cascades de Kuang Si sans passer par une quelconque agence. Le brouillard matinal dissipé, nous prenons direction de ce qui est récemment devenu l’une des attractions touristiques les plus populaires de la région. En chemin, nous effectuons quelques haltes, dont une, dans un temple bouddhiste qui a reproduit à l’échelle le site du Rocher d’Or du mont Kyaiktiyo, haut lieu de culte en Birmanie. Nous en faisons une autre, un peu plus loin, le long du Mékong avant de poursuivre jusqu’au parking des fameuses chutes. À l’entrée, nous achetons deux billets à une dame rigolote et nous enfonçons dans la forêt. Nous nous arrêtons d’abord au sanctuaire des ours. En voie de disparition, les ursidés noirs asiatiques sont chassés pour leur bile utilisée en médecine chinoise pour toutes sortes de choses, allant de la gueule de bois au cancer. C’est peu dire qu’ils sont désormais en grand danger. Ici, on les sauve des braconniers, mais on les parque dans un enclos bien trop petit pour les accueillir. On en dénombre, parait-il, vingt-trois. Pour notre part, nous n’en apercevons que sept ou huit dont deux fainéantent au soleil juste devant nous.
À quelques mètres de là, on peut distinguer les premiers bassins à travers le feuillage. Leurs couleurs bleu des Caraïbes ou émeraude, accentuées par la lumière de midi, tranchent superbement avec le vert foncé de la végétation. Nos craintes n’avaient pas lieu d’être : la foule a oublié de venir. Seules, quelques fanatiques du selfie prennent beaucoup de temps pour s’immortaliser devant les chutes. Heureusement que je ne suis pas pressé, je peux attendre. Mais ma patience a parfois ses limites et, dans ce cas, je m’introduis sans complaisance dans leur cadrage aussi saugrenu que le sont leurs poses et leurs mimiques et prends tranquillement, voire très, très tranquillement mes photos. L’endroit est paisible. Quelques baigneurs osent se jeter à l’eau. Plongeant un orteil dans le torrent, je rejette très loin l’idée de m’y aventurer. Après Koh Lanta et les 30° de la mer d’Andaman, j’ai l’impression de mettre un pied dans la Baltique. Aujourd’hui, je remise le maillot sans regret ! De bassin en bassin, nous atteignons la fameuse cascade. Dans un joli décor de verdure, l’eau chute d’une belle hauteur pour se fracasser dans un nuage de gouttelettes sur les rochers au pied desquels nous nous trouvons. Nous restons là un bon moment avant d’entamer le retour vers le parking et de constater que nous avons bien fait d’arriver assez tôt. Les premiers bassins sont en effet désormais envahis par une multitude de nymphettes les bras en l’air, les deux mains formant un cœur, une jambe légèrement en avant, les fesses franchement en arrière et surtout un sourire figé qui s’évanouit sitôt le déclic. Ah ! les maudits réseaux sociaux où une majorité de photos se ressemblent !…