Sur les conseils de Ketut qui connait maintenant parfaitement nos goûts pour les traditions balinaises, nous nous rendons en fin d’après-midi dans un temple de Bedulu, près d’Ubud. Par chance, nous arrivons en même temps qu’une bonne soixantaine de femmes, toutes de jaune et de vert vêtues, qui se rendent en file indienne jusqu’au temple, de hautes corbeilles de fruits posées en équilibre sur la tête. Le spectacle est tellement grandiose dans la lumière de l’après-midi que nous en oublions presque de prendre des photos. Après en avoir tout de même pris quelques-unes, nous pénétrons dans l’enceinte du temple. À l’entrée, un gamelan, composé uniquement de femmes, joue une musique qui nous transporte tous les deux à chaque fois que nous l’entendons. Les nombreux autels sont tous recouverts des offrandes que les fidèles ont amenées: les corbeilles de fruits évidemment, mais aussi de hautes sculptures, comme ce Garuda de deux mètres, recouvertes ou faites avec des aliments, du riz et du porc en particulier. Le résultat est bluffant. La foule, à genoux, bénit des fleurs avant de se les installer dans les cheveux. Le recueillement est réel et impressionnant pour les étrangers que nous sommes. Dans une autre partie du temple, un peintre immortalise l’événement sur sa toile. M’apercevant l’observer, il délaisse son travail pour que Chantal puisse nous prendre tous les deux en photo; vu la manière avec laquelle il me touche les bras et les mains, je pense qu’il est très superstitieux. Après la cérémonie, beaucoup nous saluent et certains, plus téméraires, viennent discuter avec nous. Même sur le parking où nous enlevons le sarong et le ticheurte blanc, une famille entière passe nous saluer; on ne peut pas rester insensible à toutes ces marques d’attention. Bali peut être sale, mais l’accueil et la gentillesse de ses habitants compensent largement…
En ce moment, une grande effervescence règne dans les villages; on va célébrer Galungan et Kuningan partout sur l’île. Tous les 210 jours, les Balinais invitent les dieux et les ancêtres à venir sur terre fêter la création du monde et prient pour la victoire de la vertu sur le démon. À cette occasion, tout le monde retourne dans son village familial. Quelques jours avant cette date, les hommes se chargent de la construction des penjors qu’ils dressent ensuite devant chaque maison, le long des rues et des routes. Ces longues tiges de bambou symbolisent le mont Agung et leur grande hauteur doit aider les invités à descendre sur terre. Ils sont souvent magnifiquement décorés : leurs tiges figurent les rivières et des ornements qui symbolisent les récoltes y sont accrochés. Sur chaque penjor, un petit autel, représentant le temple de Besakih, est installé pour accueillir les offrandes. Quand toutes les rues du village en sont bordées, le spectacle de ces bambous recourbés est vraiment unique et beau. Avec Chantal, nous ne nous lassons pas d’arpenter les rues d’Ubud et des villages environnants. Manque de chance, celui que Wayan, le fils de Ketut, a construit durant cinq jours, s’est brisé lors de son levage. La base du bambou a dû être sciée. Moins haut de deux bons mètres, le penjora pourtant encore fière allure, planté devant l’entrée de la guesthouse. Aujourd’hui, veille de Galungan, Ketut et son mari Wayan nous offrent, à l’heure du déjeuner, deux énormes assiettes de lawar, recette traditionnelle généralement confectionnée par les hommes à l’occasion de la fête. C’est délicieux, mais tellement énorme que ce soir, cette fois c’est sûr, nous ne mangerons pas.