Le minivan qui nous emmène vers la capitale a déjà beaucoup vécu et s’arrête à tout bout de champ charger des passagers ou des colis. La route en travaux n’arrange rien à l’affaire. Mal assis à l’arrière, nous étouffons de chaleur et de poussière. Pour terminer le trajet en beauté, le chauffeur nous débarque bien avant le centre-ville, à plus de quatre kilomètres de notre guesthouse. Nous devons marchander un tuk-tuk venu à notre rencontre avec un empressement certain. Sentant sa proie, le bougre a tout de même consenti un petit rabais.
La chambre — la même que lors de notre dernier séjour à Phnom Penh — n’a guère changé. Par contre, mon premier boulot consiste, une demi-heure durant, à la nettoyer… avec du papier-toilette ! À notre demande, une femme de ménage passe un semblant de serpillière, tout sourire et les yeux rivés sur moi. Je préférerais sincèrement qu’elle se concentre sur son travail. Assis sur le lit de la chambre d’à côté, on attend patiemment que le sol sèche…
Nous effectuons une balade de reconnaissance près de la « Croisette », le boulevard qui longe le Tonlé Sap au niveau du confluent avec le Mékong. Comme toujours, une intense activité anime ce quartier où les toits du Palais Royal et du Musée National se découpent dans le ciel orangé de fin de journée. La nuit tombant, nous avons la déception de trouver le restaurant que nous préférions changé de propriétaire. Le nouveau, un Français, a triplé les prix. Bien trop cher pour nous. Nous nous rabattons vers son voisin, moins huppé, spécialisé dans les nouilles fraiches. Nous profitons des happy hours pour y étancher notre soif avec deux demis de Cambodia. Dommage que la soupe, très bonne au demeurant, soit servie aussi parcimonieusement ! En rentrant à l’hôtel, je m’arrête dans une supérette compléter mon diner d’un yaourt et des bananes ! Dans ce cas-là, en général, une mauvaise humeur certaine m’embrume l’esprit…
Le lendemain matin, nous partons vers le marché Orussey en quête d’un petit-déjeuner. Les marchands de soupe se succèdent. Je ne mets pas d’accord sur le prix avec la dame qui semble proposer le meilleur bouillon. Nous nous rabattons quelques hectomètres plus loin sur une famille vietnamienne installée sur le trottoir. Copieuse, sa phở bò nous emmènera sans souci jusqu’au diner.
Les vendeurs de légumes, de poissons et de viande se succèdent sur les deux côtés de la rue qui débouche sur le marché. Les étals débordent de choses appétissantes, du moins en ce qui concerne les produits du potager et les fruits. Les préparations plus exotiques comme les mygales frites ou les criquets grillés semblent avoir totalement disparu, alors que, auparavant, elles abondaient ici même. Nous trouverons un seau rempli de ces araignées géantes plus tard, à quelques rues de là. Autour du marché, l’activité bat son plein. Nous mitraillons tous les deux la partie des cochons laqués. D’une jolie couleur orangée, ils pendent en quantité aux murs extérieurs du bâtiment… exposés à la poussière ambiante. Pas grave ! Un par un, une jeune fille ne cesse de les badigeonner à l’aide d’un pinceau. Emploi à temps plein garanti !
En nous dirigeant vers le parc du Wat Phnom, nous flânons un instant autour de la vieille poste dont je trouve l’intérieur bien changé. Mais ma mémoire me fait-elle défaut ? Peut-être… Par contre, elle reste vive lorsque nous abordons le parc circulaire du temple qui a donné son nom à la ville. Ceint d’une grille qui en empêche désormais l’accès libre, il n’a plus qu’une seule entrée. Bien évidemment payante pour les étrangers ! L’ayant visité à différentes reprises, nous passons, un râlant tout de même un peu, notre chemin avant de prendre la direction du Wat Ounalom où j’avais réalisé plusieurs fois de jolies photos. En partie restaurée, la pagode abrite toujours un bananier impressionnant avec ses régimes hallucinants de fruits. Nous rencontrons là un couple de jeunes Lyonnais, Marianne et Cyril, avec qui nous passons l’heure la plus chaude de la journée à discuter assis à l’ombre d’un des bâtiments. Sympa ! Nous poursuivons tranquillement la promenade jusque dans les parages de notre guesthouse où nous arrivons en fin d’après-midi. Nous ne trouvons aucun restaurant à nous plaire et, dépités, allons trouver refuge sur des tabourets du Kiwi Mart d’une rue voisine. Au menu : deux canettes d’Anchor, une autre bière locale, deux yaourts et six bananes. Assez pour patienter jusqu’au petit-déjeuner de demain… Après ce contretemps, je suis évidemment à prendre avec des pincettes. Chantal qui me connait par cœur me laisse ruminer dans mon coin…
Nous nous arrêtons ce matin là-même où, hier, nous avions discuté le prix des soupes avant d’aller chercher plus loin. En fait, elles méritent le coût un peu plus cher qu’ailleurs. Le bouillon à lui seul le justifie. Une demi-heure plus tard, je repars d’excellente humeur. Chantal est la première à s’en réjouir ! Pas pour très longtemps, malheureusement. Dans l’une des innombrables boutiques de téléphones mobiles, j’entre pour faire changer la protection de mon écran. Après avoir discutaillé ferme le prix avant de le régler, je demande à ce que la jeune fille présente derrière le comptoir me l’installe. Sérieuse, celle-ci s’exécute du mieux qu’elle peut. Mais poser un truc mal adapté se révèle en certaines occasions délicat. Je le remarque seulement une fois parti. Décidé, je retourne au magasin et tombe sur le monsieur de tout à l’heure à qui je tente d’expliquer qu’il s’est trompé de référence et que ce serait bien de le changer pour le bon format. Devant sa mauvaise foi exaspérante au possible, je perds soudain mon contrôle. Depuis que je voyage, je ne me souviens pas d’avoir pété les plombs de cette manière. Jamais ! Le magasin se retrouve tout d’un coup transformé en véritable volière : tout ce qui se trouve sous ma main prend les airs. Chantal assiste à la scène, médusée, avant de sortir sur le trottoir sans trop savoir que faire. Me rendant soudain compte de ce que je suis en train de faire, je me ressaisis et préfère, moi aussi, foutre le camp avant que les pépins me tombent dessus. La nouvelle mentalité des Cambodgiens que l’on a perçue dès notre arrivée à l’aéroport de Sihanoukville commence à nous peser vraiment. Je ne retrouve le calme que dans l’après-midi. L’excellent diner au restaurant Friends qui s’est bien agrandi depuis la première fois où nous y sommes venus finit de m’apaiser complètement. Enfin un bon point pour Phnom Penh !
Nous ne perdons pas un instant et rentrons à l’hôtel boucler les sacs. Il ne manquerait plus qu’on soit obligés d’y passer une journée supplémentaire !
© Alain Diveu