Ah! La Malaisie!…
La gratuité de son visa de trois mois attire de nombreux globe-trotters comme nous qui viennent y séjourner quelques semaines à moindre coût. Suivant les saisons, on se réfugie soit sur la côte ouest, soit sur la côte est. En cette période, on dit que la côte est est préférable. Mais en cette «année El Niño», le climat semble complètement déréglé. À l’automne dernier, le manque de pluies en Asie du Sud-Est a engendré une sécheresse telle qu’elle a attisé des incendies massifs de forêt en Indonésie dont les fumées ont envahi les rues de Kuala Lumpur! La mousson tarde et est attendue avec une certaine impatience, ne serait-ce que pour rafraichir l’atmosphère lourde et étouffante qui règne en ce moment. Tous les jours, le mercure affiche plus de 40° en température ressentie, ce qui nous épuise littéralement. Les locaux non plus ne sont pas en reste; tout le monde souffre. Du coup, nous regagnons le plus souvent l’hôtel vers 11 h 30 pour n’en ressortir que vers 15 h 30. Ou bien alors, nous passons les heures les plus chaudes dans les galeries marchandes. Chantal et moi les surnommons les chambres froides. On se croirait en effet dans des frigos géants, mais où l’on se promène en bermuda et ticheurte. Quand on pénètre dans un centre commercial, on est à chaque fois surpris par la température fraiche, voire frisquette, qui sévit dans les allées. Dans certains magasins, la situation empire encore: les vendeuses portent une doudoune par-dessus leur pull. Incroyable! Mais, à pianoter à longueur de journée sur leur téléphone mobile, elles n’ont pas vraiment l’occasion de se réchauffer, le chaland étant plutôt rare dans ces immenses galeries de plusieurs étages! Hormis les plus connues de Kuala Lumpur qui drainent une clientèle régulière, les autres vivotent seulement. Au fur et à mesure de nos passages à Penang, par exemple, de nouveaux immeubles voient le jour avec les 4 ou 5 premiers niveaux réservés d’office pour les commerces. En général, les boutiques sont regroupées sur deux étages, voire trois, mais rarement plus. Il en résulte des lieux tristounets, pour ne pas dire lugubres, avec une grande part de cellules inoccupées. Celles qui sont ouvertes marchent la première année, un peu moins la seconde, puis sont obligées de fermer, la clientèle se précipitant vers un autre centre, plus récent. Et ainsi de suite! George Town est en train de devenir un cimetière à galeries marchandes! Une nouvelle vient pourtant d’être inaugurée et d’autres sortent de terre! On n’arrive vraiment pas à comprendre l’intérêt de ces constructions. D’autant plus qu’au-dessus des 4 ou 5 premiers étages réservés aux magasins et les 4 ou 5 suivants destinés aux parkings (les architectes locaux n’ont pas l’air de connaitre les sous-sols!), les 20 ou 25 qui restent accueillent des appartements ou des hôtels d’un certain standing dont on se demande s’ils seront occupés un jour. Bref, investir ici me parait relever de la loterie! À chacun de nos passages en Malaisie, nous découvrons des restaurants et des cafés flambant neufs, joliment aménagés, mais la plupart du temps désespérément vides. Lors du séjour suivant, nous constatons déjà la fermeture de certains. Trois ans semblent être la durée de vie maximale de tous ces nouveaux commerces, ouverts à grands frais, mais à l’évidence sans réelle étude préalable du marché. Je me demande souvent qui paie les pots cassés. Le commerçant? Certainement. Le banquier? Certainement aussi un peu. Mais les financiers apportent encore leur aide et les immeubles sortent toujours de terre. Il y a donc un truc que je ne comprendrai jamais. En conclusion, je n’étais pas fait pour les affaires et les manœuvres financières, mais, ça, je le savais déjà!
Une autre chose qui me hérisse les poils dans ce pays qui se veut moderne: les trottoirs. Le Malaisien ne marche pas. Le terme piéton ne doit même pas faire partie de son vocabulaire. D’ailleurs, pour effectuer seulement quelques dizaines de mètres, il prend un véhicule; soit la moto garée dans la pièce principale entre le fauteuil et la télé, soit la voiture, collée à la porte d’entrée s’il est en maison, ou stationnée tout près de l’ascenseur s’il vit en immeuble. Dans un État producteur de pétrole, faire quelques pas, avec ses jambes donc, doit certainement être considéré comme une hérésie. D’où l’absence de vrais trottoirs… et de passages cloutés aux bons endroits! On a vu des cas extrêmes, mais malheureusement pas si rares, où le zébra mène vers un mur de béton sans autre alternative pour les piétons que de marcher sur le bas côté quelques dizaines de mètres, et souvent plus, avec le trafic qui leur passe au ras des fesses; pas forcément très rassurant. Kuala Lumpur fait désormais un effort en aménageant des trottoirs qui le sont vraiment, c’est-à-dire sans motos à les emprunter pour éviter un sens interdit, sans véhicules à les utiliser comme parking et sans restaurants ambulants à y installer leurs tables. Les visiteurs étrangers qui, eux, marchent beaucoup vont apprécier. D’autres villes semblent vouloir en faire autant, mais, apparemment, pas encore George Town; dommage pour nous qui nous y arrêtons toujours plusieurs semaines lors de nos venues en Malaisie. Il ne se passe pas un jour sans que je râle. Souvent quand nous traversons une rue, même entre les clous s’il y en a, des motos s’imposent à nous et rasent nos doigts de pied alors qu’il y a au moins cinq mètres derrière nous. D’autres fois, il nous faut sans cesse slalomer entre pétrolettes et voitures garées n’importe comment sur le trottoir. Par dépit, nous déclarons la plupart du temps forfait et continuons tranquillement sur la chaussée.
De ce refus de marcher découle un autre fléau: l’obésité. Beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes doivent faire face à ce souci. Nous avions pourtant constaté une amélioration, il y a environ cinq ans, par rapport à la première fois où nous étions passés par là. Mais l’embellie a été de courte durée. La nourriture prend à l’évidence une place très importante à l’origine du problème, mais le fait de ne pas faire d’exercice physique n’aide certainement pas à l’élimination des graisses. Certains jeunes enfants qui se goinfrent de paquets de chips et autres cochonneries sucrées ou salées en buvant leurs sodas à longueur de journée deviennent énormes et éprouvent même du mal à se mouvoir. Les autorités ont l’air d’avoir pris conscience de l’affaire, puisque des campagnes d’affichage sont fréquemment programmées. Mais nous doutons tous les deux de leur efficacité, tant la débauche physique n’est vraiment pas inscrite dans les gènes des Malaisiens.
Comme ne l’est pas, non plus, celui des bains et du plaisir de la mer. Il n’existe qu’une seule grande plage, à peu près propre, sur l’ile de Penang: Batu Ferringhi. Les touristes de passage y viennent souvent passer une journée. Mais rarement plus. Le bruit des moteurs et les ordres, que dis-je?, les aboiements des membres des trop nombreux clubs de parachute ascensionnel qui en occupent la majeure partie en découragent beaucoup. Peu de place pour étendre tranquillement sa serviette sur le sable, donc! Quant à la mer, pas très attrayante avec son eau grisâtre et son courant assez fort, elle rafraichit à peine. N’empêche que nous nous baignons souvent, mais uniquement pour le plaisir de la caresse du vent sur nos corps mouillés… si nous en ressortons indemnes. Car il nous aura tout de même fallu éviter les scooters de location et les hors-bords tirant une banane ou tout autre tapis pneumatique qui passent à pleine vitesse à quelques mètres seulement de vous et esquiver les câbles assassins des bateaux tractant les parachutistes qui décollent et atterrissent, souvent comme ils le peuvent, tout près de vos affaires… Une fois, l’une de ces cordes a failli me décapiter; je marchais en bordure de mer et, ne l’ayant remarquée qu’au dernier moment, j’avais dû, dans un réflexe, me plier en deux pour qu’elle ne me saucissonne pas! Pour des Bretons comme nous, qui apprécions le calme des belles criques aux eaux limpides, venir à Penang pour un séjour balnéaire serait une hérésie. D’autres endroits, ailleurs en Malaisie, s’y prêtent beaucoup mieux.
Nous ne restons pas ici pour cela, d’ailleurs; nous préférons, de loin, George Town et ses vieilles maisons classées au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.
Heureusement, tous ces petits tracas n’ont aucune influence sur la gentillesse spontanée de la population qui fait souvent preuve, à notre égard, de beaucoup de respect et de connivence.
C’est surtout pour cela que nous passons autant de temps dans ce pays!